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L’élection d’Ignazio Cassis fut “sans surprise ni audace”

Ignazio Cassis a été élu au Conseil fédéral dès le deuxième tour avec 125 voix (archives). KEYSTONE/PETER KLAUNZER sda-ats

(Keystone-ATS) “Tout ça pour ça”: la presse romande juge l’élection d’Ignazio Cassis au Conseil fédéral “sans surprise” et très “vite pliée”. Certains commentateurs vont même jusqu’à regretter le “manque d’audace” des parlementaires fédéraux.

“Vote sans surprise” ou “choix quasi naturel”, l’élection du PLR tessinois est également caractérisée de “nette et sans bavure”. “Emballé, c’est plié! Il n’a fallu que deux tours de scrutin à Ignazio Cassis pour l’emporter”, écrit l’éditorialiste du Courrier.

Un choix express que la presse romande explique par le souci de cohésion nationale. “En optant pour Ignazio Cassis, l’Assemblée fédérale a choisi de respecter l’ordre établi, qui veut une représentation équilibrée des régions linguistiques du pays au Conseil fédéral”, explique le Journal du Jura.

M. Cassis entre dans l’histoire comme 117e conseiller fédéral parce que “c’était son tour”, abonde Le Nouvelliste. “C’était le tour d’un libéral-radical et tout à la fois celui d’un Tessinois. Il était à l’intersection de ces deux groupes. C’est donc lui, car ce ne pouvait être que lui”, ironise le journal valaisan.

Maudet la révélation

D’ailleurs, constate la Tribune de Genève, Ignazio Cassis “est un pur produit helvétique. Il incarne le compromis, de droite. Il est plurilingue, chérit le système et promeut les minorités sans faire de vagues. Selon les standards de la mythologie helvétique, il se montre efficace comme un Alémanique, enjôleur comme un Romand, chaleureux comme un Tessinois”.

Certains journaux regrettent toutefois ce consensus institutionnel. “Cette quête perpétuelle de l’équilibre a empêché la révélation de ces derniers mois de se réaliser. Malgré ou à cause d’une campagne tonitruante et inédite, Pierre Maudet ne s’inscrivait pas dans cette mécanique si particulière. Il ne pouvait ni battre la constitution, qui sonnait l’heure d’un Tessinois, ni se faire adouber par un parlement dont il n’a jamais fait partie”, estime Le Temps.

Même son de cloche au Journal du Jura et à la Tribune de Genève: les parlementaires ont, hélas, manqué de courage et n’ont pas eu l’audace de franchir le Rubicon en choisissant Pierre Maudet. Des trois candidats, et malgré son jeune âge – 39 ans -, l’homme fort du gouvernement genevois était assurément le mieux taillé pour la fonction”, note le premier.

Pour la seconde, le conseiller d’Etat genevois “aurait fait souffler sur Berne le même vent rafraîchissant qui a accompagné sa campagne”.

Autre explication avancée au choix du Tessinois: la “volonté d’ancrage politique du côté de la droite dure”, selon le Courrier. “Un décalage subsistait entre la majorité parlementaire et un exécutif jugé par trop centriste, voir insuffisamment eurosceptique.” Avec l’élection d’un “lobbyiste de la santé”, la “coupable déviance” a été corrigée, poursuit le journal genevois.

Virage à droite

Allant dans le même sens, Le Temps affirme que “l’Assemblée fédérale souhaitait marquer un tournant après le départ d’un Didier Burkhalter souvent considéré trop à gauche au sein même de son parti”. La droite “détient la majorité au Parlement”, rappelle Le Nouvelliste. C’est elle qui “fait donc les lois comme les rois”.

Pour La Liberté, outre M. Cassis, l’autre vainqueur du jour est la direction du PLR, qui a placé au gouvernement un homme “dont elle espère qu’il déplacera le centre de gravité du collège vers la droite”.

Ignazio Cassis, “qui déclare à l’envi son amour de la liberté, devra quand même affirmer la sienne”, poursuit le journal fribourgeois, notamment vis-à-vis de ses soutiens, UDC en tête: “Il lui revient de démontrer que le bon petit soldat PLR cache en fait un caractère bien trempé de général”.

Moret à bout de souffle

Si la presse romande salue les performances de Pierre Maudet, elle ne mâche en revanche pas ses mots pour décrire la prestation d’Isabelle Moret. La Vaudoise “a manqué de souffle”, “n’a jamais su comment mener cette bataille” et n’est pas parvenue “à faire décoller sa campagne”.

L’ambivalence de son message sur le fait d’être une femme en politique a été relevée par plusieurs journaux. “Enfermée dans la question féminine alors qu’elle disait vouloir l’éviter, elle n’a réussi à convaincre ni de la pertinence de sa proposition ni de la nécessité d’un deuxième représentant vaudois au gouvernement”, juge par exemple le 24 Heures.

Un poil plus positif, Le Matin voit dans la candidate défaite “une sorte de mater dolorosa”, victime de son étendard féminin. Mme Moret “a dû encaisser le plus d’attaques de bas niveau”, mais “c’est aussi elle qui s’est montrée la plus courageuse, dans le calme et la dignité”.

L’argument femme est repris également par le Quotidien jurassien: “Le médecin proche des caisses maladie aurait soudain eu le souffle plus court dans sa course vers le palais fédéral”, si le PLR du Tessin avait présenté plusieurs candidatures, notamment celles de l’ancienne conseillère d’Etat Laura Sadis, “une solide adversaire, apte à lui faire un fatal croc-en-jambe”.

Répartition des sièges

“Quid de la suite?”, s’interrogent L’Impartial et L’Express. Ils se demandent quelle sera l’attitude d’Ignazio Cassis s’il devait reprendre le Département des affaires étrangères, laissé vacant par Didier Burkhalter. Les quotidiens neuchâtelois remarquent que si “le toubib de Montagnola a bien réaffirmé hier qu’il privilégierait la voie bilatérale” avec l’Union européenne, “on attend pour voir s’il le peut”.

Ils redoutent que la Suisse ne “se referme” et oublie les “vertus réconciliatrices” du démissionnaire neuchâtelois, qui avait su incarner une “Suisse garante du dialogue et de la paix” partout dans le monde, dans la lignée des anciens conseillers fédéraux Max Petitpierre, Pierre Aubert et René Felber.

Au sud des Alpes, les commentaires sont très enthousiastes. “È fatta: Il Ticino torna in consiglio federale!”, se réjouit le Corriere del Ticino, qui voit dans l’élection de M. Cassis une chance pour la Suisse.

Pour le Corriere della Sera, l’élection de M. Cassis est “une normalisation après le tremblement de terre de 2007”, qui avait vu l’éjection de l’UDC Christoph Blocher du Conseil fédéral par le Parlement, alors que sa formation avait progressé de sept sièges au Conseil national, à 62 élus.

Un Conseil fédéral “parfait”

Outre Sarine, la presse se montre presque aussi enflammée. “Le Conseil fédéral se compose désormais de quatre Alémaniques, deux Romands et d’un Tessinois – parfait”, s’exclame la version en ligne du Blick. La Neue Zuercher Zeitung loue, quant à elle, “le choix judicieux” de l’Assemblée fédérale, qui “a fait preuve de responsabilité politique”.

Le grand journal zurichois attend maintenant du nouveau conseiller fédéral qu’il soit moins “étatiste et interventionniste” que son prédécesseur et qu’il amène “des accents libéraux en matière sociétale”.

“Il est impératif de temps en temps qu’une nation de volonté prouve que la considération pour les minorités n’est pas seulement une expression vide de sens”, écrivent le Tages-Anzeiger et le Bund. C’était “un choix juste, en fait le seul bon choix”, renchérissent la Luzerner Zeitung et le St. Galler Tagblatt.

La presse germanophone se penche également sur le futur département du Tessinois. Les commentateurs le voient en ministre des affaires étrangères, avec le gros dossier européen à traiter.

Le Tages-Anzeiger et le Bund relèvent qu’il a été “jusqu’à maintenant vague” sur le sujet. “Cela doit changer”, car la politique européenne est aussi “un travail de persuasion en Suisse”. L’Aargauer Zeitung aimerait elle “voir un ministre des affaires étrangères eurosceptique devoir convaincre sur les juges étrangers les Alémaniques réfractaires”.

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