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Les Suisses de l’étranger montrent la voie du vote électronique

Rédaction Swissinfo

L'avenir de la démocratie sera numérique: le physicien Franz Muheim en est convaincu. Ce Suisse de l'étranger se bat pour l'introduction du vote électronique. Dans cette tribune, il répond aux inquiétudes de ses adversaires.

En Suisse, les critiques à l’égard du vote électronique n’ont cessé d’augmenter l’an passé. Malgré les quelque 300 essais réussis depuis 2004, une initiative a été lancée contre l’introduction de ce moyen d’expression lors de consultations populaires: elle demande l’inscription d’un moratoire de cinq ans dans la Constitution. Des politiciens de différents partis la soutiennent et de nombreux adversaires veulent carrément interdire le scrutin numérique.

Deux personnes avec un gilet bleu.
Récolte de signatures à Lucerne pour un moratoire sur le vote électronique. © Keystone / Alexandra Wey

Ce processus me préoccupe vivement. Selon la Loi sur les Suisses de l’étranger, ces derniers doivent pouvoir tester le vote électronique. En cas d’interdiction, ils seraient les victimes collatérales, et ce n’est pas la première fois, de querelles politiques. Cette mesure constituerait clairement une discrimination à leur encontre. Imaginez que l’on prive un Thurgovien sur cinq du droit de vote et d’élection (voir encadré).

Une préoccupation centrale des Suisses de l’étranger

Plus de 750’000 Suisses, soit un peu plus d’un sur dix, vivent à l’étranger. Nombreux sont ceux qui entretiennent des liens étroits avec leur pays d’origine. Quelque 172’000 sont inscrits dans le registre électoral d’une commune helvétique, correspondant à l’équivalent du corps électoral du canton de ThurgovieLien externe. Mais tous les Suisses de l’étranger ne peuvent pas voter facilement. Dans de nombreux pays, le système postal fonctionne trop lentement et environ 20% d’entre eux reçoivent leur matériel trop tard pour pouvoir voter par correspondance. Pour beaucoup, le vote électronique est donc souvent le seul moyen d’exercer leurs droits politiques. Porte-parole de la «Cinquième Suisse» reconnu par la Confédération, l’Organisation des Suisses de l’étranger demande, depuis longtemps, que ces derniers puissent voter par Internet dans tous les cantons. Actuellement, seuls dix cantons le permettent et plus de la moitié des Suisses de l’étranger concernés y ont régulièrement recours. Le Conseil des Suisses de l’étranger a donc lancé, en août 2018, une pétitionLien externe demandant au Conseil fédéral et au Parlement de rendre le vote électronique accessible à tous les Suisses de l’étranger d’ici à 2021. Le texte, muni de plus de 11’000 signatures, a été remis à la Chancellerie fédérale le 30 novembre dernier.

J’ai étudié les avantages et les inconvénients du vote électronique. On me demande souvent quels problèmes celui-ci résoudrait. Les Suisses de l’étranger ne sont pas les seuls à en avoir besoin. Pour les citoyens non-voyants ou en situation de handicap grave, ce canal garantirait le secret du vote. 

Tous connectés 

Le système électronique évite, en outre, tout vote nul: finis les problèmes de signatures et d’enveloppes manquantes ou de bulletins mal remplis. Lors des dernières élections municipales de la ville de Zurich, 26% des bulletins déposés ont été déclarés nuls. 

Plus important encore, les Suisses eux-mêmes souhaitent voter par voie électronique. Selon un nouveau sondageLien externe, près de 70% des personnes interrogées estiment que ce mode de scrutin devrait être mis à la disposition des citoyens. C’est compréhensible: la plupart des gens, et pas seulement la jeune génération, sont connectés à Internet et n’envoient plus de lettres par la poste. Nous utilisons tous le courrier électronique, ainsi que les services bancaires et les systèmes de réservation en ligne. Beaucoup remplissent leur déclaration d’impôts par voie électronique. Le vote en ligne n’est que la prochaine étape. 

Attaques détectées 

Bien entendu, les risques du vote électronique ne doivent pas être sous-estimés. L’un des arguments les plus importants est la crainte qu’un pirate tente de manipuler des suffrages ou qu’une attaque parvienne à modifier le résultat d’une votation. Le vote électronique doit permettre une vérification individuelle garantissant au votant l’enregistrement de sa voix. Une fraude pourrait ainsi être détectée par des citoyens vigilants. Si 10% du corps électoral signalaient des irrégularités, une attaque à l’échelle nationale serait aussitôt détectée. 

Les codes de vérification devraient être divulgués afin que les spécialistes puissent identifier une faille. Il n’est, par ailleurs, pas facile de pénétrer le système électoral suisse avec 26 cantons et plus de 2000 communes. Des tests statistiques peuvent également être menés pour examiner les incohérences. Différentes mesures permettent ainsi de sécuriser le système pour lutter contre les fraudes. 

Des dangers partout 

Bien sûr, le niveau de sécurité ne sera jamais absolu. Il ne l’est pas non plus pour les autres canaux. Le vote par correspondance, par exemple, est moins sûr qu’on ne le croit: des captages de voix sont possibles. Des fraudeurs ont même été arrêtés récemment en Valais. Ce mode de vote est, toutefois, accepté, car on suppose qu’aucun résultat ne sera falsifié. 

Il en va de même pour le vote électronique ou l’e-banking. Tout ordinateur ou smartphone allumé risque des attaques. Des mises à jour régulières sont donc importantes. Dès qu’une faille est révélée, un correctif doit être appliqué. Si le citoyen a la certitude qu’une fraude peut être mise au jour et réparée, il peut effectuer ses opérations bancaires en ligne, mais aussi voter par Internet. 

Découverte d’une faille attendue 

J’espère que les spécialistes des technologies de l’information, qui comptent parmi les critiques du vote électronique, contribueront à rendre l’outil actuel plus sûr. Le défi mené actuellement par La Poste doit être salué: celle-ci a invité des pirates du monde entier à tester son système de vote électronique. Comme on pouvait s’y attendre, une «faille critique» a été détectée. Elle peut faire avancer le débat, au contraire de l’argument des opposants selon lequel «le vote électronique signifie la mort de la démocratie». Répandre la peur est une tactique bien connue des populistes, mais elle ne résoudra jamais les problèmes. 

Malheureusement, l’an dernier, la plupart des médias ont publié de longs entretiens avec ces détracteurs tapageurs sans poser une seule question critique. Le débat s’est donc intensifié de manière unilatérale. Les mêmes cercles se sont décrédibilisés en portant de fausses allégations: le système genevois n’a pas été piraté par exemple. Et ils n’ont même pas pris le temps de s’informer sur les règles du vote électronique pour les Suisses de l’étranger. 

Ne pas se reposer sur ses lauriers 

À mon avis, le vote électronique n’est qu’une partie de la démocratie numérique. La Suisse pourrait jouer un rôle de pionnier dans ce domaine. Cela passe par le vote en ligne, mais également par une identité électronique (e-ID). Laquelle est nécessaire pour que les Suisses de l’étranger puissent télécharger leur carte de légitimation. 

L’avenir de la démocratie sera numérique. Malheureusement, la Suisse est en phase de développement depuis des lustres. Les opposants au vote électronique demandent qu’on y consacre plus d’argent: ils n’ont pas tort. Il est regrettable que le canton de Genève renonce à sa plateforme en open source pour des raisons financières. Les voix critiques me rejoignent bien souvent sur un point: le vote électronique sera bel et bien introduit; la question est de savoir quand et comment. 

Les urnes de l’ambassade, pas une solution 

Certains adversaires, bien intentionnés, proposent le vote dans les ambassades pour les Suisses de l’étranger. Cette idée n’est pas une solution. Le problème ne réside pas dans la distribution du matériel de vote dans un pays, mais au sein d’une circonscription consulaire où une seule ambassade est responsable de tous les Suisses de l’étranger établis dans plusieurs Etats. Le vote à l’ambassade ne serait possible que pour quelques personnes et s’avérerait donc antidémocratique. La charge pour plus de 100 ambassades serait, par ailleurs, très élevée. Résoudre un problème du 21e siècle avec une approche vieille de plus de 100 ans constituerait, par ailleurs, une approche fondamentalement erronée selon moi. 

Pour les Suisses de l’étranger, seule l’introduction du vote électronique dans tous les cantons peut assurer la non-discrimination et l’exercice de leurs droits démocratiques.

(Traduction de l’allemand: Zélie Schaller)

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