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La marge de manœuvre limitée de l’Iran en Syrie

Dans la banlieue d'Alep (Syrie) le 1er mai. Les barils d'explosifs lâchés par les forces gouvernementales répandent la terreur et la mort, selon Amnesty International. Reuters

A Genève, l’ONU a lancé cette semaine une série de consultations sur la Syrie. Des discussions qui incluent pour la première fois l’Iran. Fin connaisseur de la république des Mollahs, Mohammad-Reza Djalili estime que loin d’avoir la capacité de restaurer un empire perse, comme le craignent certains observateurs, l’Iran est en position de faiblesse.  

Prévues pour durer jusqu’au 30 juin à huis clos au Palais des Nations, les consultations menées par l’envoyé spécial de l’ONULien externe doivent inclure  40 groupes syriens et 20 acteurs régionaux et internationaux.

Lors d’une conférence de presse, Staffan de MisturaLien externe a insisté pour dire qu’il ne s’agissait  pas d’une 3e conférence de Genève: «Je recevrai chaque délégation séparément. Il y a des moments où il faut travailler profil bas. L’objectif est de voir ce qui a changé sur le terrain depuis l’adoption du communiquéLien externe de Genève il y a trois ans, le 30 juin 2012, et si un autre round est possible.»

Répondant à une question de swissinfo.ch, le médiateur onusien a remercié la Suisse pour l’aide apportée aux Nations unies dans l’organisation et la gestion de ces consultations qu’il a qualifiées «d’assez compliquées du point de vue logistique. La Suisse a démontré encore une fois sa capacité d’aider l’ONU dans une tâche difficile.»

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Pourparlers en chaîne sur la Syrie

Ce contenu a été publié sur Appelés Genève 2, les pourparlers ont pour but de convenir d’une feuille de route pour la Syrie basée sur un projet adopté par les États-Unis, la Russie et d’autres grandes puissances en juin 2012, ainsi que la création d’un gouvernement transitoire chargé d’organiser des élections. Après Montreux, les délégations se sont déplacées au Palais des…

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Professeur honoraire de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, Mohammad-Reza DjaliliLien externe évalue la grande nouveauté de ces consultations: la participation de l’Iran. Une question sur laquelle il vient de publier une étudeLien externe pour l’Institut français de relations internationales (IFRI).

swissinfo.ch: Pour calmer les tensions et les guerres régionales, la résolution du conflit syrien est-elle prioritaire?

M-R.D. : La Syrie est la pièce maîtresse dans l’équation stratégique et conflictuelle du Moyen-Orient. La crise syrienne a des prolongements importants, non seulement en direction du Liban et d’Israël. Mais aussi à l’égard de la Turquie et des monarchies pétrolières du Golfe.

La Syrie est au carrefour de toutes les dissensions régionales du Proche et du Moyen-Orient. La résolution du conflit syrien aura donc des répercussions dans toute la région.

swissinfo.ch: Dans cette guerre qui a fait plus de 220’000 morts, on a beaucoup parlé du poids de la Russie sur le régime de Bachar el-Assad. Mais n’est-ce pas l’Iran qui pèse le plus sur Damas? 

M-R.D. : L’Iran a autant que la Russie des moyens de faire pression sur le gouvernement Assad, dans la mesure où l’Iran est en fait son seul allié régional important. Et depuis plus de 30 ans. Les échanges entre ces deux pays sur tous les plans durent depuis très longtemps.

Ceci étant, je ne pense pas que l’Iran va jouer un rôle déterminant s’il s’agit de proposer un changement de gouvernement en Syrie. Pour le moment, tous les signaux qui viennent de Téhéran convergent sur une seule idée, à savoir que le régime iranien veut maintenir Bachar el-Assad au pouvoir. 

La Suisse active en coulisses

La Suisse n’est pas impliquée dans les consultations sur la Syrie menées par l’ONU. Elle apporte un soutienLien externe logistique avec, entre autre, la mise à disposition d’un collaborateur.

Depuis le début du conflit, Berne s’est engagéeLien externe pour une solution politique à la guerre en Syrie, tout en apportant de l’aideLien externe aux très nombreuses victimes du conflit et en tentant de faire respecter le droit international. 

La Confédération a également parrainé, en septembre 2014, les résolutions du Conseil des droits de l’homme sur la situation en Irak et en Syrie. Berne soutient la commission d’enquêteLien externe indépendante du Conseil des droits de l’homme sur la Syrie, dont fait partie la Suissesse Carla Del Ponte.

En parallèle, la Suisse participe à un dialogue sur les questions humanitaires avec l’Iran et la Syrie. Ce dialogue a été initié par le gouvernement iranien en 2013. Il vise, entre autre, à l’amélioration de l’accès des travailleurs humanitaires aux populations civiles ou la sécurité des travailleurs humanitaires qui se trouvent sur le terrain.

Cinq rondes de discussions ont eu lieu depuis 2013. La plus récente s’est tenue en Iran le 21 avril dernier. Le chef de l’aide humanitaire de la Confédération, l’ambassadeur Manuel Bessler, y a participé.

Source: les réponses écrites fournies par le DFAE

swissinfo.ch: En cas d’accord sur le nucléaire iranien, Téhéran peut-il infléchir sa politique extérieure pour stabiliser la région?

M-R.D. : Beaucoup de gens parient sur cette possibilité en disant que le retour progressif de l’Iran sur la scène internationale poussera ce pays à être plus conciliant sur des questions régionales, en Syrie et en Irak principalement. Mais j’ai beaucoup de doutes sur un changement rapide des positions iraniennes.

La seule personne en mesure de changer la direction de la politique étrangère de l’Iran, c’est le Guide suprême de la révolution Ali Khamenei, l’architecte suprême de cette politique régionale. Or son discours n’a pas beaucoup varié. Quand on lui pose la question de l’avenir des relations avec ses voisins, il répond qu’il n’est pas un diplomate, mais un révolutionnaire.

Pour le moment, l’Iran n’a rien à gagner à changer ses positions par rapport à l’Irak, la Syrie, voire le Yémen et le Liban.

swissinfo.ch: Cette posture révolutionnaire est-elle encore très importante pour le régime iranien?

M-R.D. : Elle l’est, en tous cas au niveau de la direction du pouvoir, chez le Guide et dans son entourage proche.  Ça l’est moins dans d’autres cercles. Le président de la république essaye de se distancier un peu de cette ligne révolutionnaire. Hassan Rohani s’affiche plus diplomate que révolutionnaire. 

Mais c’est la population iranienne qui peut infléchir à moyen terme cette politique révolutionnaire. Elle est très favorable à une évolution rapide du pays, à l’ouverture des frontières, aux échanges internationaux, alors qu’elle souffre beaucoup de l’isolation de l’Iran. Quand l’accord-cadre sur le nucléaire iranien a été conclu à Lausanne le 2 avril dernier, la population est descendue dans la rue pour fêter l’événement en disant que c’était la première étape vers d’autres changements. Et ce après 36 ans de cette période révolutionnaire qui n’en finit pas.

Ce décalage entre la sphère dirigeante et la population, même un régime autoritaire doit en tenir compte.

swissinfo.ch: Certains observateurs assurent que l’Iran est en train de restaurer l’empire perse. L’Iran en a-t-il seulement les moyens face à la récente coalition qui s’est formée autour de l’Arabie saoudite? N’est-il pas en position de faiblesse?

M-R.D. : En cas d’accord, je ne pense pas que Washington va abandonner l’Arabie saoudite pour l’Iran. Les Etats-Unis vont au mieux  reprendre la ligne qu’ils avaient à l’époque du Shah, soit la politique des deux piliers (twin pillars policy) en s’appuyant à la fois sur l’Iran et sur l’Arabie saoudite.

L’Iran est en effet en position de faiblesse. Sa politique étrangère un peu expansive peut se retourner contre lui à terme. Et ce d’autant plus que cette politique révolutionnaire n’est plus perçue comme islamique, mais chiite.

Mohammad-Reza Djalili RTS

Cela dit, la menace existentielle qui pèse sur l’Iran, ce n’est pas les Etats-Unis, Israël ou l’Arabie saoudite, mais une grave crise écologiqueLien externe. L’eau se raréfie d’une manière très inquiétante.

Le réchauffement climatique affecte tout le Moyen-Orient. Mais c’est l’Iran qui est le plus touché. Tous les lacs iraniens sont quasi asséchés, comme la quasi-totalité des eaux de surface. Et ce aussi à cause de mauvais choix en termes de politique agricole et de mauvaise gestion des ressources en eau.

swissinfo.ch: Suite aux sanctions, l’économie iranienne est à bout de souffle. Ce facteur économique limite-t-il son soutien à la Syrie de Bachar el-Assad?

M-R.D. : En ce moment, beaucoup de bruits courent sur l’actuelle diminution du soutien financier à la Syrie, mais aussi au Hezbollah libanais, le bras armé de l’Iran en Syrie. Sans levée des sanctions économiques, l’Iran va se retrouver limité dans sa politique régionale, mais aussi sur le plan intérieur. Le gouvernement Rohani a été élu pour tenter de trouver une solution à la crise économique qui passe donc par la résolution du dossier nucléaire.

swissinfo.ch: Assistons-nous à un rééquilibrage des forces entre l’Arabie saoudite et l’Iran au Moyen-Orient?

M-R.D. : Les dynamiques à l’œuvre sont très complexes. Tant les Iraniens que les Saoudiens avancent leurs pions sur des territoires extrêmement fragilisés. Ils ne peuvent pas bâtir des alliances durables que ce soit au Yémen, en Irak ou même en Syrie.

swissinfo.ch: Face à cette instabilité régionale, l’Iran représente néanmoins l’un des pays les plus stables de la région…

M-R.D. : Certainement. Si vous le comparez avec tous ses voisins arabes ou d’Asie (Afghanistan et Pakistan), l’Iran est un pays stable. C’est un Etat historique vieux de plusieurs millénaires qui a été modernisé dès le début du 20e siècle.  

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