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Le «roi des Alpes» est revenu il y a 100 ans

Le roi des Alpes» évoque la sagesse, le courage et la ténacité. Keystone

La plus grande organisation suisse de protection de la nature, Pro Natura, a désigné son emblème – le bouquetin – comme animal de l'année 2006.

Cette année marque le 100e anniversaire de la réintroduction frauduleuse du bouquetin par des braconniers italiens avec la bénédiction des autorités suisses.

«Pour moi, le bouquetin évoque la sagesse, le courage et la ténacité. Il a une démarche lente, sûre et majestueuse, car il vit dans des contrées difficiles toute l’année.» C’est ainsi que Paul Demierre, chef de la section chasse et faune du canton de Fribourg, rend hommage au «roi des Alpes».

Cet animal imposant de 80 à 140 kilos, dont les mâles sont dotés de cornes qui peuvent dépasser un mètre, fera l’objet de nombreuses manifestations cette année, à l’instigation de la Confédération, des organisations de protection de la faune et de chasseurs.

Un beau succès

Vendredi, Pro Natura a sacré le bouquetin, qui est déjà son emblème, animal de l’année 2006, succédant au lézard des souches qui avait eu cet honneur en 2005 et au lièvre des prairies en 2004.

L’organisation veut ainsi marquer le centenaire de ce «beau succès pour la protection de la nature», puisque le bouquetin a été réintroduit en 1906 en Suisse. Alors qu’on en retrouve des traces vieilles de 18’000 ans dans nos régions, il avait disparu en 1809, victime d’une chasse trop intense et du développement des armes à feu.

Sa viande était appréciée mais Pro Natura rappelle qu’il était aussi utilisé par la médecine traditionnelle: «la pointe de ses cornes était utilisée contre l’impuissance, son sang contre les calculs urinaires et des parties d’estomac pour soigner la mélancolie», précise l’organisation.

L’histoire de la réintroduction du bouquetin n’est pas banale. Depuis 1875, la Confédération avait cherché à maintes reprises à acquérir légalement des bouquetins italiens. En vain, le roi Victor-Emmanuel, lui-même grand chasseur, refusant d’entrer en matière.

Une histoire rocambolesque

Il a fallu attendre jusqu’en 1906 pour que des zoologues de Saint-Gall chargent des braconniers du Val d’Aoste de leur en livrer. C’est ainsi que deux femelles et un mâle ont été subtilisés du Grand Paradis, le territoire de chasse personnel du roi d’Italie.

Avec l’appui de la Confédération, les animaux capturés furent amenés dans des parcs animaliers où ils servirent à la constitution d’une colonie, avant d’être relâchés dans les Alpes dès 1911. Aujourd’hui, la Suisse en compte près de 14’000.

Depuis 1977, il est à nouveau chassé, mais sous stricte surveillance. «Dans les années 80, il a si bien prospéré que la flore protégée de montagne a commencé à en souffrir, explique Paul Demierre. On a donc recommencé à les tirer à des conditions très sévères, en dépit du fait qu’il est protégé.

Par exemple en 2005 à Fribourg, qui compte environ 300 bouquetins, 5 individus ont été abattus par des chasseurs triés sur le volet. «Lorsqu’on procède à des tirs de régulation, il y a dix à vingt fois trop de chasseurs qui s’inscrivent, au point qu’on les doit tirer au sort», ajoute le responsable des gardes-faune fribourgeois.

Ce dernier ajoute que l’animal continue de préoccuper les zoologues, car «l’effectif de certaines colonies est en stagnation, voire en régression», indiquent les services fédéraux de protection de la faune.

«Des facteurs tels que la consanguinité, les modifications climatiques et les maladies pourraient jouer un rôle dans cette évolution», précise Paul Demierre.

Le bouquetin n’est pas le seul

Mais l’essentiel, pour ce dernier, c’est la réussite significative de la réintroduction d’un grand mammifère pratiquement exterminé. «L’histoire du bouquetin montre que rien n’est jamais perdu et qu’un animal qui a été massacré par l’homme peut être réintroduit avec des mesures de protection.»

Et d’ajouter que le chamois, le chevreuil ou le cerf avaient également quasiment disparu de Suisse au 19e siècle, alors qu’ils sont à nouveau très répandus.

On ne peut s’empêcher de penser à un autre animal en voie de réintroduction: le lynx. Pour Paul Demierre, «il a aussi sa place chez nous, d’autant plus que l’élevage du mouton n’est plus qu’une activité marginale et on peut donc lui faire une place dans notre civilisation en indemnisant les éleveurs».

Mais ça, c’est une autre histoire, estime Michel Beaud, taxidermiste au Musée d’histoire naturelle de Fribourg: «Le lynx est un mangeur de gibier et les chasseurs les apprécient donc beaucoup moins que les bouquetins qui, eux, se bornent à être du gibier!»

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Présent depuis 18’000 ans en Suisse, le dernier bouquetin y fut abattu en 1809.
Depuis 1875, la Confédération s’était efforcée sans succès, d’acquérir légalement des animaux en Italie.
En 1906, des braconniers introduisent en fraude en Suisse deux femelles et un mâle bouquetins en provenance du Grand Paradis, territoire de chasse du roi d’Italie.
En 1911, les premiers bouquetins sont lâchés et sont, aujourd’hui les animaux sauvages à cornes les plus répandus de tout l’Arc alpin.
Ils sont 14’000 en Suisse et, depuis 1977, la chasse est autorisée, mais de manière très contrôlée. Les spécialistes les suivent de près car certaines colonies sont en stagnation, voire en régression.

– Le 22 juin 2006 sera commémorée la décision de zoologues suisses de réintroduire l’animal frauduleusement depuis l’Italie, le roi Victor-Emmanuel ayant refusé d’en vendre à la Suisse.

– Diverses manifestations sont organisées, comme l’émission d’un timbre, la publication d’un livre et la tenue d’un congrès international par «Bouquetin 2006», l’Office fédéral de l’environnement, ChasseSuisse, Pro Natura, le Club Alpin Suisse et ZooSchweiz.

– La Confédération offrira symboliquement 40 bouquetins à l’Italie.

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