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Faire preuve d’humilité face à la biodiversité

Le poisson « pancake » (Halieutichthys intermedius) a été découvert en 2010 dans le golfe du Mexique wikipedia.org

Chaque année des milliers d’espèces sont découvertes, dont certaines particulièrement insolites. Malgré les nouvelles formes de végétaux et d’animaux répertoriées par les chercheurs, la biodiversité est plus menacée que jamais. La parole à un expert.

Selon plusieurs scientifiques, nous vivons actuellement la sixième extinction de masse de la planète Terre. Pour ces chercheurs, la cause de cette catastrophe est indéniable : l’homme. Une extinction qui se traduit par une lutte entre prédateurs, dont les conséquences pèseront sur toute la planète.

La pression humaine sur les écosystèmes a atteint de tels niveaux que diverses espèces de prédateurs, dont le lion, le loup et le requin, sont en voie de disparition. C’est un groupe international de scientifiques qui a tiré la sonnette d’alarme, dans un article paru dans la revue Science. Ces chercheurs affirment que la disparition des grands prédateurs aura des répercussions sur toute la chaîne alimentaire et la biodiversité de notre planète.

Pour préserver son habitat, l’homme doit faire preuve d’avantage d’humilité, estime Jean-Christophe Vié, expert en biodiversité auprès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont le siège se trouve dans le canton de Vaud.

swissinfo.ch : Combien de nouvelles espèces sont-elles découvertes chaque année ?

Jean-Christophe Vié : Entre 18’000 et 20’000. Il s’agit principalement d’insectes, mais il y a aussi des animaux plus grands. Je pense en particulier à une nouvelle espèce de varan découverte l’an dernier aux Philippines. Sa taille est  considérable, puisqu’il peut mesurer jusqu’à deux mètres. D’ailleurs, je me demande comment cet animal a pu passer inaperçu….

Ceci dit, il n’est pas correct de parler de « nouvelles » espèces. En réalité, il est fait référence à des espèces qui sont déjà présentes sur la Terre, mais que la science met du temps à découvrir. Elles sont une nouveauté pour l’homme, mais pas pour la Terre. Nous connaissons peut-être 10% de toute la biodiversité de la planète.

En revanche, l’identification d’autres espèces est liée à l’adoption de nouvelles techniques de classification : celle dont nous pensions qu’elle ne formait qu’une seule espèce, se trouve en réalité en être deux.

swissinfo.ch : Combien d’espèces ont-elles disparu au cours des siècles ?

J.-C. V. : Depuis le XVIe siècle, environ un millier d’espèces se sont éteintes à tout jamais. Pour la majeure partie d’entre elles, il s’agit de groupes bien connus, tels que des mammifères, des oiseaux ou des batraciens.

Concernant d’autres espèces, nous avons de gros doutes, car elles n’ont plus été aperçues depuis longtemps. Mais peut-être qu’elles parviennent à survivre dans des zones très reculées, que nous n’avons pas encore pu explorer, faute de moyens nécessaires. Et puis il y a d’innombrables espèces qui ont disparu sans avoir jamais été documentées.

Il faut néanmoins veiller à éviter toute confusion. Nous ne pouvons pas établir un lien entre « nouvelles » espèces et celles qui ont disparu. La biodiversité est clairement sur le déclin.

swissinfo.ch : Comment peut-on affirmer qu’une espèce a définitivement disparu ?

J.-C. V. : Il est question d’espèces éteintes lorsque on n’en relève plus aucune trace, et ce, après avoir cherché dans toutes les zones dans lesquelles des spécimens pourraient être découverts, à toute heure du jour et de la nuit, durant la période de l’année appropriée.

swissinfo.ch : Sur l’ensemble des espèces animales et végétales qui ont vécu sur Terre, combien sont-elles encore présentes aujourd’hui ?

J.-C.  V. : La très grande majorité – disons le 90% – des espèces qui ont vécu sur Terre, a disparu. Les dinosaures n’en sont que l’un des très nombreux exemples.

swissinfo.ch : Parmi les différentes méthodes de conservation de la biodiversité, il y a la réintroduction volontaire. Quels sont les programmes les plus efficaces ?

J.-C. V. : Le plus grand succès, et le plus récent, a été l’oryx d’Arabie, une sorte d’antilope, réintroduite à Oman et en Arabie saoudite. Il s’agissait d’une espèce disparue dans la nature, qui ne vivait plus qu’en captivité, dans les zoos. Un autre exemple a été le furet aux pieds noirs, réintroduit dans le Wyoming. En Suisse, nous avons aussi eu la réintroduction du lynx, même si son équilibre reste fragile.

swissinfo.ch : Et quels ont été les plus grands échecs ?

J.-C. V. : Parmi les critères de mise en œuvre d’un programme de réintroduction, il y a la certitude, ou la quasi certitude que l’opération aboutisse. Il s’agit d’interventions très coûteuses et donc, le risque d’échec doit être proche de zéro.

Ceci dit, on peut citer le cas du gypaète barbu. Après sa réintroduction dans les Alpes, nous avons du attendre plusieurs années avant la naissance du premier oisillon en liberté. S’agit-il d’une forme d’échec en regard des fonds mis à disposition pour sa réintroduction ? Difficile à dire. D’un côté, la situation encore extrêmement fragile, mais de l’autre, cette population s’accroit progressivement.

Mais il y a un autre phénomène plus préoccupant, à savoir celui des espèces envahissantes. En Europe, on en recense près de 10’000 variétés, et plus de 10% d’entre elles ont un impact négatif au niveau économique et écologique. En Asie, et plus précisément en Indonésie, on a réintroduit une espèce d’acacia afin de freiner la progression des incendies dans une réserve naturelle. Aujourd’hui, cette même plante s’est quasiment répandue sur toute la surface du parc, en bouleversant l’écosystème.

swissinfo.ch : La réintroduction volontaire d’une espèce ne constitue-t-elle pas une tentative artificielle, arrogante, d’interférer avec la nature ?

J.-C.  V. : Absolument pas. C’est au contraire une manière pour corriger les erreurs du passé. L’homme n’a pas introduit d’animaux, ceux-ci étaient déjà présents sur la Terre, mais nous les avons fait disparaître. Je considère que ce qui est arrogant, c’est la destruction de la nature. Nous devons être plus humbles et reconnaître notre dépendance face à l’environnement.

Les causes des extinctions de masses sont multiples et parfois controversées. Parmi les causes principales, il y a les grands changements climatiques, les catastrophes naturelles et les impacts d’astéroïdes et de météorites.

– 450 millions d’années (Ordovicidien) : extinction de 85% des espèces, surtout les invertébrés marins.

– 370 millions d’années (Dévonien) : extinction de 60 à 70% des espèces, dont de nombreux poissons préhistoriques.

– 250 millions d’années (Permien-Trias) : marque le grand tournant des extinctions de masse de la Terre, avec près de 96% des espèces marines et 70% des espèces terrestres qui disparaissent à jamais.

– 200 millions d’années (Trias-Jurassique) : extinction de près de 50% des espèces, essentiellement des reptiles et des amphibiens.

–  65 millions d’années (Crétacé-Tertiaire) : près de 75% des espèces disparaissent, dont les dinosaures. C’est à cette période qu’apparaissent les premiers mammifères et oiseaux.

Aujourd’hui : selon plusieurs scientifiques, l’activité humaine serait sur le point de provoquer la sixième extinction de masse de l’histoire. Les grands prédateurs feraient partie des espèces les plus menacées.

Chaque année, l’Institut international pour l’exploration des espèces (Université de l’Arizona – ASU) établi la liste des dix nouvelles espèces les plus curieuses. Parmi celles répertoriées en 2010 on trouve :

Tyrannobdella rex : une sangsue découverte au Pérou dans la narine d’une fillette. C’est la seule espèce à n’être munie d’une seule mandibule et d’une seule dent.

Halomonas titanicae : une bactérie qui vit à de grandes profondeurs. Elle a été retrouvée sur l’épave du Titanic (Océan atlantique).

 

Caerostris darwini : cette araignée de Madagascar,  tisse des toiles extrêmement résistantes et longues de plus de trente mètres.

 

Varanus bitatawa : ce varan découvert aux Philippines peut atteindre deux mètres de longueur.

Pasthvrella aquatica : un champignon dont le cycle vital se déroule entièrement en milieu acquatique (Etats-Unis).

Traduction de l’italien : Nicole della Pietra

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