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Comment réinventer notre alimentation

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On dirait du poulet, mais ce n'est pas du poulet. planted. via Facebook

Nous sommes de plus en plus attentifs à ce que nous mangeons, en veillant à cocher les bonnes cases en matière de santé, d’éthique et d’environnement. La Suisse s’avère être un terrain propice pour changer de mode alimentaire, que ce soit grâce à un substitut de viande à base de protéines de pois ou à une laitue cultivée sans terre ni pesticides. Clare O’Dea s’est plongée dans le monde de la nourriture alternative.

Il faut goûter certaines des innovations récentes pour y croire. Par exemple, le substitut de poulet produit par la jeune équipe de Planted AG à Zurich, une spin-off de l’École polytechnique fédérale (ETH).

Avant de rencontrer les co-fondateurs Pascal Bieri et Lukas Böni, je suis allée dans un café de Zurich pour essayer leur produit. J’ai mangé du poulet fabriqué à partir de plantes dans un mélange de salade avec du chou, de la carotte, du concombre, des edamames et des cacahuètes. Verdict: l’aspect, la sensation et le goût ressemblent au poulet, même lorsqu’il est servi froid.

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Pascal Bieri (à gauche) et Lukas Böni ont créé un substitut de viande à partir de quatre ingrédients naturels swissinfo.ch

Les choses vont très vite pour la jeune équipe de Planted. Il y a tout juste deux ans, les cousins Pascal Bieri et Lukas Böni se sont mis autour d’une table pour esquisser, sur deux pages, un résumé de leur concept scientifique et commercial. Ils souhaitaient avant tout s’engager contre la production industrielle de viande.

Grâce à leurs expériences respectives, à savoir le monde des affaires pour Pascal Bieri et les sciences de l’agriculture pour Lukas Böni, ils ont décidé de créer une substance semblable à la viande avec quatre ingrédients naturels: protéine de pois, fibre de pois, huile de colza et eau, le tout sans additifs. En un an, après s’être associés à deux autres personnes – Eric Stirnemann et Christoph Jenny – ils ont fondé Planted AG, une entreprise qui a reçu 7 millions de francs suisses (7,30 millions de dollars) de fonds de démarrage en octobre 2019.

En mai 2019, un rapport de la banque Barclays prédisait que l’industrie de la viande de substitution pourrait valoir 140 milliards de dollars d’ici 2029, soit 1 % du marché de la viande. Planted AG entend participer à ce changement.

Dans un espace situé au rez-de-chaussée du bâtiment des sciences alimentaires de l’ETH, une équipe d’employés produit quotidiennement 500 kilogrammes de poulet aux protéines de pois qui sont expédiés dans toute la Suisse. Ils se servent de machines spécialement adaptées (extrudeuses) qui sont utilisées depuis longtemps pour la production alimentaire, notamment pour la fabrication des pâtes.

Le substitut de poulet est élaboré grâce à un procédé appelé extrusion à haute teneur en humidité. Les ingrédients placés dans l’extrudeuse en forme de tube sont chauffés et pressurisés par deux vis rotatives, ce qui convertit le mélange en pâte. Le processus donne aux protéines végétales une forme fibreuse et allongée qui ressemble à celle des fibres musculaires animales.

Planted fournit un nombre croissant de restaurants, a commencé à vendre son poulet en ligne et par l’intermédiaire de la grande chaîne suisse de supermarchés Coop. L’entreprise a dépassé les limites de son site actuel et se prépare à déménager au début de l’été dans l’ancienne usine Maggi (une marque alimentaire suisse légendaire) à Kempthal, près de Zurich, où ses 22 employés disposeront de plus de place et où la production pourra être multipliée par six voire dix.

«Nous voulons nous agrandir et construire des usines modèles dans toute l’Europe. Nous voulons également continuer à améliorer le produit et le processus de production», affirme Pascal Bieri. J’ai laissé les deux associés assis sur les escaliers pour une réunion improvisée. Ils suscitent beaucoup d’intérêt de la part des médias ces jours-ci et «doivent maintenant se concentrer sur l’essentiel».

Suivant les traces de Planted, qui a démarré avec une bourse initiale de 150’000 francs de la Fondation ETH, une nouvelle start-up zurichoise, LemnaPro, a reçu la même subvention l’année dernière.

Cyril Hess
Cyrill Hess se concentre sur la plus petite plante à fleurs du monde, la Wolffia. swissinfo.ch

Cyrill Hess et sa partenaire de recherche Melanie Binggeli rêvent également en grand et se concentrent sur les protéines. Cette fois-ci, le projet concerne la plus petite plante à fleurs du monde, la Wolffia, un végétal de la famille communément appelée des lentilles d’eau.

Cyrill Hess m’a fait visiter l’espace climatisé où l’on cultive la Wolffia. Cette plante recouvre l’eau d’une piscine peu profonde d’un tapis vert lumineux. Si les conditions sont réunies, la minuscule plante double de volume chaque jour. 

«Je me suis demandé pourquoi nous ne la mangions pas, car c’est une source de protéines de haute qualité, durable et à croissance rapide. J’ai commencé à m’intéresser au marché des protéines, aux raisons de nos choix alimentaires, et ces recherches ont pris la forme d’une analyse de rentabilité», explique Cyrill Hess.

Mieux connue en Asie où elle est consommée fraîche, la Wolffia est un nouvel aliment sur le Vieux Continent qui n’a pas encore été reconnu par les autorités européennes ou suisses. Cyrill Hess et l’agronome Melanie Binggeli tentent d’obtenir cette approbation en attendant de trouver les conditions de production qui pourraient être reproduites à grande échelle pour la nutrition humaine. Une possibilité consiste à transformer la plante en une poudre de protéines lors de la récolte.

Ce n’est pas seulement la nourriture que nous mangeons, mais aussi la façon dont elle est produite qui nécessite une remise en question et de nouvelles solutions technologiques. Environ la moitié des laitues et des herbes vendues en Suisse sont cultivées localement. Le reste est importé, principalement pendant les mois d’hiver.

Une entreprise suisse basée en Romandie, CombaGroup, a mis au point un système de serres pour les légumes verts à feuilles. Les végétaux qui peuvent être cultivés toute l’année se développent dans un environnement sans sol. Par rapport à l’agriculture usuelle, cette méthode permet de réduire la consommation d’eau et d’espace de 90%. De plus, elle peut se passer de pesticides.

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Les racines sont pulvérisées à plusieurs reprises avec une fine brume enrichie en nutriments. CombaGroup

Ce procédé abaisse ou élimine radicalement la plupart des charges environnementales du système de production alimentaire conventionnel, en particulier le transport, le ruissellement agricole et le gaspillage de l’eau.

La technologie utilisée est l’aéroponie mobile. Elle consiste à suspendre les racines et à les pulvériser régulièrement, à l’aide d’un chariot mobile automatisé, d’un fin brouillard enrichi en nutriments.

Situés dans le village intemporel de Molondin, avec ses tuiles rouges, les 15 employés de CombaGroup partagent leur site de travail avec des entreprises agricoles plus traditionnelles. Le PDG, Serge Gander, voit son système comme une opportunité pour les producteurs.

«Le volume qui peut être produit avec notre technique est stupéfiant. La culture traditionnelle du sol présente un rendement annuel de 30 tonnes par hectare. Avec notre système, nous atteignons 800 tonnes».

L’entreprise a mis en place ses premiers projets en France et en Suisse, et négocie avec des clients de Suède, du Koweït et de Russie. Son modèle commercial consiste à vendre un système de culture complet accompagné d’un ensemble de services.

«Nous pouvons cultiver des légumes n’importe où et surtout dans les endroits qui sont mis à rude épreuve, que ce soit en matière de qualité des sols, de pollution, de climat, d’accès ou de questions géopolitiques».

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