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Une amende record de 3,7 milliards d’euros requise contre UBS

Markus Diethelm, directeur juridique d’UBS, à son arrivée au Tribunal de grande instance de Paris. Keystone

Au procès parisien d’UBS, le ministère public a réclamé jeudi une peine «proportionnelle» au tort subi par le fisc français. La défense conteste la méthode de calcul. Quant à l’ex-numéro 3 d’UBS, Raoul Weil, il risque 2 ans de prison avec sursis.

Le procureur Serge Roques et son adjoint Eric Russo étaient restés discrets pendant les quatre premières semaines du procès UBS à Paris. Tandis que les prévenus et leurs avocats menaient l’audience tambour battant, assimilant les «lanceurs d’alerte» – les anciens employés qui ont dénoncé les pratiques de démarchage d’UBS en France – à des «menteurs», l’accusation laissait faire.

Ce jeudi, elle est sortie de son mutisme lors d’un réquisitoire très sévère de plus de quatre heures. Le bon mois de débats n’a guère modifié son opinion initiale. «UBS a sciemment ouvert, tenu et géré des comptes de fraudeurs français et mis à leur disposition des services caractérisant le blanchiment de fraude fiscale», a estimé le procureur Serge Roques. Pour ce chef d’accusation et celui de démarchage bancaire illégal, il a réclamé 3,7 milliards d’euros (4,2 milliards de francs suisses) d’amende à la banque suisse.

L’Etat demande 1,6 milliard de réparation

L’État français, partie civile au procès du géant bancaire suisse UBS à Paris, a demandé mercredi une «réparation à hauteur de 1,6 milliard d’euros» pour sanctionner un vaste «système de fraude et de blanchiment». L’avocat de l’État, Xavier Normand-Bodard, a dénoncé «un système digne de Tartuffe dans lequel les banques prétendent ne pas entendre ne pas voir, ne pas savoir, au nom… du secret bancaire». Me Normand-Bodard a raillé la position de la banque et de ses cadres pendant les cinq semaines d’audience, résumant leur mantra: «Circulez, il n’y a rien à voir». (source: AFP)

Le démarchage d’abord. Pour le Parquet national financier (ministère public), la centaine d’«events» – des manifestations culturelles et sportives – organisés en France entre 2004 à 2011 avaient en partie pour but d’attirer le client non vers des comptes en France, mais en Suisse. «Ces events étaient officiellement organisés par UBS France, mais il ne s’agissait en fait que d’une vitrine», a fustigé le procureur Eric Russo. «Et dans les locaux d’UBS France, les chargés d’affaires suisses étaient chez eux», ajoute le procureur.

Blanchiment ensuite. Pour le ministère public, la distinction opérée dans des documents UBS entre «simple money», soit l’argent non déclaré, et «complex money», les sommes déclarées au fisc, est «claire». «Les dirigeants d’UBS étaient parfaitement conscients que les avoirs des clients français n’étaient pas déclarés, estime Serge Roques. UBS regardait ailleurs.»

Pas une négociation

Sanctionner soit. Mais jusqu’à quel montant? Dans leurs cauchemars les plus sombres, les actuels dirigeants d’UBS voyaient leur tomber dessus des sommes astronomiques. Notamment le montant souvent brandi de 5 milliards d’euros. Qui correspond à la moitié de ces 10,6 milliards d’euros qu’UBS est accusée d’avoir blanchis. C’était, semble-t-il, la somme «plafond». Et on espérait en Suisse que l’accusation, puis les juges, feraient preuve de plus de modération.

Le Parquet national financier assure «avoir à l’esprit» les sanctions qu’a déjà subies la banque ailleurs. Les 780 millions de dollars payés en 2009 au fisc américain et les 300 millions versés en Allemagne en 2014. En l’occurrence, ces transactions avaient permis à UBS d’échapper aux procès. «Or, aujourd’hui, on change d’échelle, car nous sommes dans le cadre de la répression pénale», précise le procureur. Autrement dit, UBS aurait pu négocier une somme qui lui aurait évité un procès – certains parlent de 1,6 milliard d’euros – mais elle a refusé. Elle doit donc se soumettre au verdict du Tribunal.

Pour chiffrer l’amende, le procureur n’oublie pas qu’«UBS AG est le numéro 1 mondial de la banque privée, ce qui implique des devoirs. Et le respect des lois.» La sanction, estime l’accusation, doit être «proportionnelle au montant des fonds sur lesquels a porté le blanchiment». Donc, d’après les juges d’instruction, environ 10,6 milliards d’euros.

Méthode contestée par la défense

Le procureur est allé plus loin, estimant que l’amende pouvait, selon le droit français, se monter jusqu’à 9,25 milliards d’euros. Mais que lui-même, par «sagesse et prudence», se contenterait de 3,7 milliards. C’est la somme qu’a récupéré le fisc français auprès des clients français d’UBS qui se sont régularisés entre 2011 et 2015.

Plus

«Nous contestons la méthode de calcul, a réagi Me Denis Chemla, avocat d’UBS AG. Et nous contestons aussi les faits. L’accusation n’a visiblement pas tenu compte des quatre semaines de débat.» Si l’amende requise par le procureur est confirmée par les trois juges, qui se prononceront après délibéré dans plusieurs mois, ce serait un record pour une banque en France.

Assis cette semaine au premier rang du public, Markus Diethelm, directeur juridique d’UBS, a cru bon tenir des propos géopolitiques au journal Les Echos. «A l’issue du Brexit, a-t-il déclaré, la France est extrêmement importante. Tout le monde va regarder ce qui arrive à UBS.» Ces propos n’ont pas plu au procureur adjoint, Eric Russo, qui y a vu «une façon de faire diversion et faire pression sur notre justice».

Sursis pour les personnes physiques

Des peines de six à vingt-quatre mois de prison avec sursis assorties d’amendes de 50’000 à 500’000 euros ont été requises contre six dirigeants et anciens cadres d’UBS. Le procureur a notamment demandé vingt-quatre mois avec sursis et 500’000 euros d’amende pour l’ex-numéro trois d’UBS AG, Raoul Weil.

Contre la filiale française, UBS France, accusée de complicité de démarchage illicite et de blanchiment aggravé, le Parquet a requis 15 millions d’euros d’amende. Les avocats de la défense auront la parole la semaine prochaine.

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