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Le droit national avant le droit international? D’autres pays le font depuis longtemps

Statuette de la justice en bronze
123RF

Une initiative populaire demande que la Constitution fédérale suisse prime sur le droit international. Mais comment les autres pays règlent-ils les rapports entre droit national et droit international? Tour d’horizon.

Mercredi, la Chambre basse du Parlement (Conseil national) débat d’une initiative populaireLien externe qui entend préciser le rapport entre le droit suisse et le droit international. La situation juridique qui prévaut actuellement en Suisse est compliquée. Il manque une règle claire. Le Tribunal fédéral a à plusieurs reprise fait primer le droit international sur le droit suisse, ce qui a poussé l’Union démocratique du centreLien externe (UDC / droite conservatrice) à lancer l’initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», appelée aussi «initiative pour l’autodétermination».

> Le texte de l’initiativeLien externe

Mais comment d’autres pays règlent-ils ce rapport entre droit national et droit international? L’Office fédéral de la justice a fait établir un rapport d’experts pour éclaircir cette question. swissinfo.ch a pu consulter ce document. Petit tour d’horizon:

  • Allemagne: la Constitution nationale au-dessus de la Convention des droits de l’homme

En Allemagne, le droit international prime en principe sur les lois nationales. A une exception près: les traités de droit international qui régissent les relations politiques de l’Allemagne ou se rapportent à des questions de droit fédéral exigent une «loi d’approbation». Par conséquent, ces accords n’ont pas la primauté, mais se situent au même niveau qu’une loi allemande ordinaire. Cela vaut également pour la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le droit des Communautés européennes – le droit européen au sens strict – prévaut en revanche sur le droit allemand.

  • France: primauté du droit international

En FranceLien externe, les accords internationaux ont une force juridique supérieure à celle des lois françaises – à condition que les autres parties contractantes respectent également le traité. Il existe en revanche un débat sur la question de savoir si le droit international a un rang plus élevé que le droit constitutionnel français. Il n’y a pas de réponse claire à cette question dans la Constitution, la jurisprudence ou la doctrine. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat (tribunal administratif) français veulent faire primer la Constitution sur le droit international.

Selon la doctrine et la jurisprudence françaises, le droit communautaire (droit européen) prévaut sur le droit national. S’il contrevient à la constitution française, c’est cette dernière qui doit être révisée.

  • Royaume-Uni: le droit international n’est valable que sous forme de lois nationales

Le Royaume-Uni n’a pas de constitution écrite. Les traités de droit international sont transformés en lois nationales et ont par conséquent le même rang que des lois «normales». Seul le droit communautaire prime sur les autres lois.

La Cours suprême aux Etats-Unis
La Cours suprême des Etats-Unis. AP
  • Etats-Unis: le droit national au-dessus de tout

Les Etats-Unis sont généralement considérés comme sceptiques par rapport au droit international. La Constitution américaine ne peut en aucun cas être complétée, amendée ou restreinte par le droit international. La hiérarchie entre les lois fédérales et les traités internationaux n’est pas explicitement établie. Selon la jurisprudence, le Parlement peut valablement adopter une loi qui viole le droit international – et c’est ensuite celle-ci qui prévaut.

Mais le droit international prime sur le droit de chaque Etat fédéral – tout comme il prime sur le droit cantonal en Suisse. Etant donné que les instruments de démocratie directe n’existent aux Etats-Unis qu’au niveau des différents Etats, la question de la validité des initiatives populaires contraires au droit international ne se pose donc pas de la même manière qu’en Suisse.

Les tribunaux ont refusé à plusieurs reprises d’appliquer le droit international en se référant au droit des Etats, voire au droit national. La Cour suprême ne considère pas que les jugements d’une Cour internationale de justice sont contraignants.

  • Inde: une certaine négligence dans l’application du droit international

En Inde aussi, le droit international doit d’abord être transformé en un acte législatif national dont il partage ensuite le rang. Mais par le passé, l’Inde a conclu de nombreux accords internationaux qu’elle a ensuite omis de transformer dans le droit national. Mais les juges tentent d’atténuer ce problème en utilisant les accords internationaux dans l’interprétation du droit indien.

  • Conclusion: aucun pays n’accorde de primauté globale au droit international

Aucun des pays étudiés n’accorde automatiquement la primauté au droit international. Dans leur rapport, les experts l’expriment de la manière suivante: «En ce qui concerne la question de la primauté, aucun des ordres juridiques examinés n’admet une ‘primauté du droit international’ à appliquer ‘mécaniquement’».

Cela apporte naturellement de l’eau au moulin des partisans de l’initiative «pour l’autodétermination». Les auteurs de l’initiative argumentent en effet aussi que la primauté générale du droit international sur le droit suisse octroyée par le gouvernement, le parlement et le Tribunal fédéral est absolument unique en comparaison internationale. Par contre, les opposants rejettent des comparaisons internationales «abrégées».

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  • Ce qui fait de la Suisse un cas spécial

En fait, la Suisse est un cas particulier à trois égards:

Premièrement, il y existe la démocratie directe. Les experts écrivent: «Les problèmes qui surviennent dans le cadre de la démocratie directe en Suisse ne trouvent en tant que tels pas de pendants directs ou indirects dans les pays de comparaison».

Concrètement, il s’agit d’initiatives populaires qui contreviennent au droit international. Par exemple, l’interdiction de construire des minarets n’est peut-être pas compatible avec la liberté de religion qui est garantie dans différents accords internationaux – il n’existe pas encore de décisions de justice à ce propos. Ce n’est que lorsqu’une initiative populaire contrevient au droit international contraignant ou qu’elle ne respecte par l’unité de forme et de matière qu’elle peut être dès le départ invalidée. Mais jusqu’à présent, ce n’est que très rarement arrivé.

Deuxièmement, il faut mentionner l’absence de juridiction constitutionnelle. La Suisse ne dispose pas d’une Cours constitutionnelle qui contrôle la compatibilité des nouvelles lois avec la Constitution. Les lois fédérales qui enfreignent la Constitution doivent donc être appliquées par les tribunaux.

Le Tribunal fédéral atténue cette situation en n’appliquant pas les lois fédérales qui violent les droits de l’homme de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Comme les droits de l’homme et les droits fondamentaux contenus dans la Constitution suisse sont pratiquement équivalents, il en résulte une «quasi juridiction constitutionnelle» dans le domaine des droits de l’homme. La protection internationale des droits de l’homme est sur ce point plus importante pour la Suisse que pour d’autres pays. La «quasi juridiction constitutionnelle» cesserait peut-être en cas de dénonciation de la CEDH – ce que craignent les opposants à l’initiative pour l’autodétermination.

Troisièmement, la Suisse n’est pas membre de l’Union européenne. La Suisse ne connaît donc pas (encore) la primauté automatique du droit communautaire sur le droit national. Les accords bilatéraux conclus avec l’UE précisent quelles parties du droit communautaire valent aussi pour la Suisse. Un accord-cadre est actuellement discuté avec l’UE, qui consisterait à relier tous les accords bilatéraux, de sorte que toute modification du droit européen ne doive pas être laborieusement renégociée avec la Suisse, mais adoptée «dynamiquement» par la Suisse. Si ce n’est pas le cas, on peut s’attendre à ce que l’UE prenne des mesures de rétorsion.

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