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Safaris en Suisse: 20’000 francs pour tirer un bouquetin

Bouquetins
Les chasseurs de bouquetins doivent payer une taxe en fonction de la grandeur des cornes. Un animal avec un trophée d’un mètre coûte par exemple 13'000 francs. Le centimètre supplémentaire coûte 500 francs. © Keystone / Anthony Anex

Des agences de voyage spécialisées proposent de venir en Suisse chasser le bouquetin. Plus de 20'000 francs pour tirer les plus beaux spécimens. Les gardes-faune sont au cœur de cette chasse qui rapporte 650'000 francs par année au Valais, révèle une enquête de l'émission Mise au Point de la Radio Télévision Suisse (RTS).

Tirer un lion coûte 30’000 francs, une girafe 6000 francs et un bouquetin du Valais 20’000 francs. Voici ce que proposent des agences de voyage de chasse. Olivia Opre, 42 ans et maman de quatre enfants, est une cliente venue des Etats-Unis. Ancienne miss Nebraska, c’est la reine des safaris. Elle a tiré plus de cent espèces différentes, dont le bouquetin suisse en 2016. «C’est une magnifique aventure dans les Alpes. Nous étions guidés par des gardes-faune pour débusquer des animaux. J’ai pu tirer un bouquetin mâle, un grand, un puissant. Mon amie Denise en a tiré deux, dont un trophée de plus d’un mètre».

Cette chasse aux trophées est unique en Suisse. Chaque année, entre 100 et 120 permis de chasse d’un jour sont délivrés pour tirer des bouquetins en Valais, une espèce protégée en France, en Italie et dans le reste de la Suisse romande. La chasse aux trophées rapporte 650’000 francs aux caisses de l’Etat du Valais.

Vague de réactions outrées

Cette enquête de la RTS a suscité de nombreuses réactionsLien externe sur internet et sur les réseaux sociaux. Les associations de défense des animaux sont également indignées: Pro NaturaLien externe dénonce «une méthode d’un autre âge qui n’a plus de raison d’être» et qui donne une mauvaise image du Valais et de la chasse en général. Si ces bêtes doivent vraiment être régulées, c’est le rôle des gardes-faune, souligne l’association.

Le prix au centimètre

Aucune agence de voyage de chasse n’a accepté de s’exprimer. Toutefois, beaucoup de vidéos amateurs circulent sur internet. On y voit par exemple un touriste américain près d’Ardon, qui marche 10 minutes depuis la voiture pour aller tirer un énorme bouquetin. Accompagné d’un garde-faune, il abat l’animal à quelques mètres de distance. Selon les offres des agences, le client peut garder uniquement les cornes, ou faire hélitreuiller la carcasse afin de l’empailler. Le règlement de chasse, via l’article 34 de l’arrêt quinquennal, interdit pourtant l’utilisation d’hélicoptère.

L’agence facture entre 3000 et 4000 francs pour la prise en charge, l’hôtel et les accompagnants. Il faut ensuite payer une taxe en fonction de la grandeur des cornes. Un barème officiel est fixé par le canton. Une partie est payée à l’avance, le reste doit être payé sur place au garde-faune. Un animal avec un trophée d’un mètre, c’est 13’000 francs. Le centimètre supplémentaire coûte 500 francs. Beaucoup d’agences affichent des prix supérieurs pour la taxe. Pour un bouquetin similaire, c’est entre 600 et 1300 francs le centimètre additionnel.

Les gardes-faune font la vigie

Pour avoir plus d’information, nous avons demandé de manière anonyme une offre client à ces agences. Les réponses données sont surprenantes. Une agence fait mention de «tips» de 240 francs à payer aux gardes-faune. Le service de la chasse conteste, et explique que les gardes-faune n’acceptent pas les pourboires, c’est illégal.

Les agences de voyage proposent également des chasses spéciales pour tirer les bouquetins français et italiens qui s’aventurent en Suisse. «Si vous désirez un animal vraiment exceptionnel (…) Les gardes-faune se chargent de faire la vigie».

Contenu externe

Des corps de bouquetins décapités

Sur le terrain, dans au moins une zone de chasse aux trophées, des pierres à sel sont installées. Selon un ex-chasseur expérimenté, cette technique permet d’attirer les bouquetins et de les figer pendant des jours, voire des semaines au même endroit.

Peter Scheibler, chef du service en Valais, conteste toute irrégularité. L’utilisation des pierres à sel est pour la bonne santé des animaux: «c’est des compléments alimentaires indispensables pour les bouquetins». Selon lui, lors des safaris de chasse, ce n’est pas la bête avec les plus belles cornes qui est tirée, mais uniquement de vieux animaux, «dont beaucoup ne survivraient de toute manière pas à l’hiver».

L’équilibre des troupeaux menacé

Au total, c’est 36% de l’ensemble des bouquetins de 11 ans et plus qui est tiré chaque année en Valais. Pour Jean-Michel Gaillard, directeur de recherche au CNRS à Lyon, cette proportion est très élevée. «Les bouquetins avec des longues cornes sont les plus âgés. Ces mâles puissants sont ceux qui se reproduisent, pas les jeunes. Un trop grand prélèvement et c’est tout l’équilibre des troupeaux qui est menacé.» Pour le service de la chasse, il n’y a aucun risque. La population de bouquetins se porte bien en Valais.

Un garde-faune sous enquête

Omniprésent sur les vidéos de promotion, Marc* est le garde-faune de référence pour la chasse aux trophées. Plusieurs agences de voyage le présentent comme leur intermédiaire sur le terrain. Marc n’est pas n’importe quel garde-faune, il a fait l’objet de plusieurs plaintes. Selon le journal valaisan Le Nouvelliste, il est prévenu dans une affaire de maltraitance sur animaux et de destruction de caméras d’étude de l’Université de Berne.

Un arrêt du tribunal fédéral mentionne également un autre dossier. Marc n’aurait pas dénoncé correctement trois tireurs. On peut lire: «La gravité résulte dans la qualité des personnes protégées (un garde-chasse auxiliaire, un policier et l’épouse d’un collègue) ainsi que le motif pour justifier l’absence de dénonciation : pour service rendu.»

Le collègue «protégé» Luc* est un autre garde-faune très présent sur les vidéos de chasse aux trophées. Son épouse a tiré un faon de cerf à la place d’un faon de chevreuil. «Contre service rendu», Marc lui aurait conseillé de ne rien dire. Il aurait fait passer l’animal comme «gibier péri». Dans des retranscriptions d’écoutes téléphonique, Marc précise vouloir récupérer l’animal et l’amener chez un boucher pour vendre la viande.

Incarcéré pendant 24 heures, le prévenu conteste cette interprétation des faits. Il précise que l’animal était en réalité déjà blessé. Les proches de Marc expliquent que ce garde-faune exemplaire est victime de jalousie et de dénonciations infondées. Aucun jugement n’a encore été rendu. Il conserve pour l’instant toute la confiance du Service de la chasse.

*Prénoms d’emprunt

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