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Les Suisses de l’étranger, des citoyens de seconde zone?

«Le Parlement n’accorde pas une grande place aux Suisses de l’étranger»

Les Vert'libéraux ainsi que les six autres principales formations politiques du pays étaient présentes ce week-end à Montreux à l'occasion du 97e Congrès des Suisses de l'étranger. Adrian Moser

En cette année d’élections fédérales, les Suisses de l’étranger sont très courtisés par les diverses formations politiques. Au Parlement, pourtant, la défense de leurs intérêts ne fait pas vraiment partie des priorités, estime le politologue Marc Bühlmann.

Présentation des programmes des partis, table ronde électorale, analyse et ranking des politiciens et des formations politiques: réunis pour leur 97e Congrès annuel, les Suisses de l’étranger ont passé une matinée très politique samedi à Montreux.

Congrès annuel

Plus de 400 membres de la «Cinquième Suisse» se réunissent chaque année durant trois jours en Suisse pour leur congrès annuelLien externe. La manifestation commence traditionnellement par la séance du Conseil des Suisses de l’étranger, le «Parlement de la Cinquième Suisse», avant d’ouvrir officiellement le vendredi soir. La journée du samedi est consacrée à l’assemblée plénière ainsi qu’à la thématique officielle du congrès, cette année: «Quel monde pour demain?». La journée dominicale est l’occasion de visiter la région hôte.

Premier orateur de la journée, Marc Bühlmann Lien externea fait forte impression. Le politologue de l’Université de Berne, qui est également directeur de la plateforme «Année politique suisse», a analysé les votes qui concernaient spécifiquement les Suisses de l’étranger au cours de la législature écoulée.

Ses conclusions sont sans appel: en tant que minorité, les Suisses de l’étranger ne sont pas vraiment considérés comme une priorité sous la Coupole fédérale. Et quand il s’agit de défendre leurs intérêts, c’est la gauche qui le fait avec le plus d’entrain. Entretien.

swissinfo.ch: De nombreux représentants des principaux partis du pays étaient présents ce samedi à Montreux pour participer au 97e Congrès des Suisses de l’étranger. Y décelez-vous un vrai intérêt pour les problématiques de la diaspora helvétique ou alors une bonne dose d’opportunisme en cette année électorale?

Marc Bühlmann: Un peu des deux. Certains orateurs étaient peu préparés et se sont contentés de recycler les power-point du programme de leur parti. D’autres en revanche ont fait l’effort de s’adresser spécifiquement à la diaspora, en présentant leurs positions sur des thèmes qui la concernent spécifiquement.

On a également senti que les élections approchaient et que personne ne voulait froisser l’auditoire. Par exemple, lorsque Petra Gössi, la présidente du Parti libéral-radical (PLR), a été interpellée sur la limitation du droit de vote pour les Suisses de l’étranger, une idée émise par un sénateur de son parti, elle a simplement botté en touche en expliquant que le PLR ne soutenait pas cette proposition alors même qu’elle mériterait à mes yeux une vraie discussion.

Vous avez mené une analyse qui démontre que moins de 0,5% des objets traités par le Parlement suisse durant la législature 2015-2019 concernaient les Suisses de l’étranger. Étonnant, non?

Marc Bühlmann est politologue à l’Université de Berne. SRF

Les objets qui contiennent spécifiquement le terme «Suisses de l’étranger» sont effectivement très peu nombreux. Si j’avais cherché les termes «vaches» ou «agriculture», j’aurais sans doute obtenu beaucoup plus de succès. Cela démontre que le Parlement n’accorde pas une grande place à cette minorité.

Comment l’expliquez-vous?

Sur les 760’000 Suissesses et Suisses qui vivent à l’étranger, seuls 180’000 sont inscrits sur les registres électoraux. Et lorsqu’ils participent aux votations, ils le font dans leur canton d’origine. Leur voix est donc diluée. Personnellement, je trouverais intéressant de créer une circonscription pour les Suisses de l’étranger, avec 6 ou 7 sièges garantis au Conseil national. Cela permettrait de les impliquer davantage dans le processus de décision politique.

Au cours de la dernière législature, un Suisse de l’étranger, en l’occurrence Tim Guldimann, a siégé pour la première fois au Conseil national avant de démissionner au bout de deux ans. Que retenez-vous de cette expérience?

L’idée de départ était bonne. Mais en déclarant, pour justifier sa démission, qu’«on ne voyage pas de la même façon dans un tram à Zurich que dans le métro berlinois», il a fait du tort aux Suisses de l’étranger. C’est précisément ce qu’on attend d’un représentant de la diaspora: qu’il apporte une vision différente et qu’il défende les intérêts spécifiques des Suisses établis à l’étranger.

Votre analyse montre également que ce sont les partis de gauche qui sont les plus proches des préoccupations des Suisses de l’étranger. Une surprise pour vous?

Plus

Absolument pas. C’est simplement un reflet des positions politiques des différentes formations politiques. Sans surprise, le PS fait preuve d’une plus grande ouverture sur le monde que l’UDC. Par ailleurs, la protection des minorités est dans l’ADN de la gauche.

L’abandon du vote électronique par le gouvernement suisse a été un choc pour les Suisses de l’étranger. Comment en est-on arrivé là?

On a simplement assisté à des discussions qui sont assez emblématiques du fonctionnement de la politique suisse. Longtemps, seule une petite minorité de spécialistes s’intéressaient à ce sujet. Mais lorsque le débat a commencé à émerger au sein de la population, les partis s’en sont emparés et ont pris des positions assez claires.

Reste que le vote électronique n’est pas enterré pour autant. Généralement, il faut près de 20 ans pour trouver une solution qui convienne à tout le monde sur un sujet aussi sensible.

Vous ne voyez donc pas dans cette décision le signe d’une Suisse qui peine à avancer et à se projeter vers l’avenir?

Non, tous les politiciens présents samedi à Montreux ont dit qu’une solution allait être trouvée. La question est de savoir en quoi consistera cette solution et quand elle sera sur la table.  

Certains observateurs parlent de législature perdue pour les quatre années écoulées, en soulignant la polarisation croissante, les nombreux blocages et des difficultés majeures à trouver des consensus. Comment jugez-vous l’état de santé du Parlement suisse?

«On assiste à l’émergence en Suisse d’un système parlementaire tri- voire quadripolaire»

Je ne partage pas cet avis. Je pense au contraire que le système fonctionne très bien! Aujourd’hui, on assiste à l’émergence en Suisse d’un système tri- voire quadripolaire. Plus de 70% des objets traités au cours de la dernière législature ont été acceptés grâce à des coalitions changeantes. A mon avis, cette situation est beaucoup plus démocratique que celle qui prévalait par exemple dans les années 1960 ou 1970. Le Parti socialiste perdait alors systématiquement face au bloc bourgeois majoritaire.

Ces coalitions changeantes, on les observe aussi dans d’autres pays. Il suffit de penser à l’Italie avec l’alliance récente entre le Mouvement 5 Etoiles et la Ligue. Est-ce un phénomène global?

L’immense différence, c’est la démocratie directe. Les décisions, même si elles prennent beaucoup de temps, sont le résultat d’un large compromis et possèdent donc une grande légitimité. 

La démocratie directe oblige également les partis et les politiciens à discuter des thèmes qui préoccupent la population. Ces sujets sont donc plus rapidement à l’agenda politique que dans d’autres pays, où les partis établis ne sont pas obligés de prendre en compte les soucis de la population. 

Cela engendre de la colère voire même de la haine qui se transforme parfois en mouvements de contestation tels que celui des «gilets» jaunes en France ou «Pegida» en Allemagne. On ne verra jamais cela en Suisse. 

Contenu externe

Ignazio Cassis tourne son regard vers l’avenir avec la 5e Suisse

C’est un discours tourné vers l’avenir que le conseiller fédéral Ignazio Cassis a tenu samedi aux Suisses de l’étranger réunis en congrès à Montreux. Le ministre a souligné la bonne réputation dont la Suisse jouit à l’étranger.

Pour Ignazio Cassis, la thématique de ce 97e congrès, à savoir «Quel monde pour demain?» est exigeante et nous occupe tous. «Vous vous interrogez sur les défis du futur et comment y faire face au mieux. Exactement les mêmes questions que je me suis posé une fois ministre des affaires étrangères. Où nous mène le voyage de la Suisse?», a lâché le Tessinois devant environ 400 personnes.

L’occasion de rappeler qu’un groupe de travail composé de responsables du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et des cantons, ainsi que d’experts des milieux scientifiques, économiques et de la société civile a récemment publié son rapport sur le rôle de la Suisse dans le monde dans les dix années à venir.

Le texte, qui se veut une vision, souligne que la politique extérieure de la Suisse doit reposer sur des valeurs d’engagement pour la démocratie et l’état de droit, de dialogue, de culture du compromis, pour les droits de l’homme et l’égalité. Liée à la politique intérieure, elle collaborera étroitement avec l’économie suisse.

A l’étranger, la Suisse a une bonne image, a poursuivi le ministre listant sa capacité de dialogue, ses bons offices ou sa stabilité. Et que nous soyons dans une passe difficile avec notre principal partenaire, l’Union européenne, n’y change rien, a-t-il relevé. 

Source: ATS

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