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«La presse, baromètre de la démocratie»

Roger de Diesbach, journaliste sans concessions. alain wicht/la liberté

Il a été un des pionniers du journalisme d'investigation en Suisse. Avec «Presse futile, presse inutile», Roger de Diesbach livre un plaidoyer pour des médias qui savent rester curieux. Interview.

35 ans d’enquêtes n’ont fait que renforcer le credo de cet incorruptible: «la presse doit apporter une transparence indispensable au fonctionnement de la démocratie».

Pour lui, l’expression «journalisme d’investigation» est un pléonasme. Car Roger de Diesbach n’envisage pas son métier autrement que comme celui d’un chercheur d’informations, sans concessions au rôle de «porte-voix» que les pouvoirs politiques ou économiques aiment faire jouer aux journalistes.

Sur près de 500 pages, son livre offre une plongée dans 35 ans d’histoire d’une Suisse «déchirée entre ses bons sentiments et ses intérêts moins avouables». On y croise des espions balourds, des policiers fouineurs, des marchands d’or et de canons, des banquiers parfois troubles. Et comme la petite Suisse est une puissance économique mondiale, le journaliste est aussi allé voir ce qu’elle faisait là-bas, surtout en Afrique.

Un pavé ? «Pas grave, répond l’auteur. Il se lit comme un roman policier». Et on peut choisir ses histoires: une pour chacun des 42 chapitres, succincts et bien délimités.

Inquiet pour l’avenir de la presse suisse qu’il craint de voir un jour «sinistrée» comme peut l’être une presse régionale française ayant perdu à peu près toute curiosité, Roger de Diesbach aime à répéter que la différence entre un journal «qui fait son travail» et un journal futile tient à peu de choses.

Avant de se lancer dans une enquête le premier se demande si elle sera «utile». Alors que le second se demande simplement si le sujet va «se vendre».

swissinfo: Dans le paysage médiatique suisse d’aujourd’hui, y a-t-il encore une place pour le journalisme tel que vous le prônez ?

Roger de Diesbach: Certainement, et certains journaux le font ou essayent de le faire. Mais hélas, on en voit aussi beaucoup qui diminuent l’effectif et les moyens de leurs services de recherche d’informations, ou qui les suppriment. Et d’autres qui pourraient le faire font autre chose. Comme «L’Hebdo».

Dans la presse alémanique du dimanche, le journalisme d’investigation est encore très fort, même s’il n’est pas toujours fait d’une manière absolument convenable.

Mais globalement, ce journalisme-là est en voie de disparition. Par manque de moyens, mais aussi à cause d’une volonté de certains éditeurs de massacrer la recherche d’information. Ces éditeurs ont oublié qu’ils avaient une responsabilité énorme par rapport à la démocratie et à la société.

swissinfo: Est-ce que les politiques ont une part de responsabilité dans cette dégradation de la qualité de la presse ?

R.d.D.: Je ne leur jetterais pas la pierre… les politiciens et les journalistes, vous savez, c’est un peu un vieux couple qui a besoin l’un de l’autre et qui passe son temps à s’engueuler.

Je pense que l’Etat n’a pas à soutenir les journaux, mais il est vrai qu’on n’entend peu de politiques s’inquiéter de cette dérive de la presse, qui devient futile, facile, et dont la disparition ne poserait aucun problème.

Ce que j’attendrais de certains hommes politiques, c’est qu’ils s’inquiètent pour la démocratie. Donc pour la presse. Ne serait-ce que pour maintenir l’intérêt des jeunes envers le monde politique. Et aussi, et surtout, parce que la presse, c’est un baromètre de la démocratie d’un pays.

swissinfo: «Pour augmenter les ventes, on peut soit élever le niveau des lecteurs, soit abaisser la qualité du journal». Cette boutade vous paraît-elle pertinente pour décrire l’état actuel de la presse ?

R.d.D.: Les journalistes n’ont pas le droit d’accepter qu’on baisse le niveau de leurs médias. Et pas seulement pour le public, aussi pour eux. Parce que sinon, les éditeurs finiront par faire des médias sans journalistes.

Maintenant, je pense que le lecteur doit aussi se poser des questions sur la presse. On ne le dit pas assez. Acheter un journal, s’y abonner, écouter une radio ou une TV, c’est un acte politique.

Evidemment que des journaux de boulevard, des «Voici», des «Gala», n’existeraient pas s’ils n’avaient pas le public qui les achète. Et il faut que les lecteurs réalisent qu’en donnant leur préférence à cette presse qui n’est plus une presse, mais un objet de divertissement, ils tuent l’autre, celle qui essaye de faire son travail. Et c’est très grave.

swissinfo: Mais justement, est-ce que le public, et surtout le public jeune, se rend compte de cet appauvrissement ?

R.d.D.: Modestement, je vous dirai que c’est pour ça que j’ai écrit ce livre. C’est parce que je pense que le public ne s’en rend pas compte.

Je pense surtout que le jeune public, qui n’a pas l’habitude du journalisme d’investigation, qui ne l’a jamais vraiment lu, est pris en otage. Pour lui, c’est facile, il trouve des gratuits sur son chemin, il les prend, il a l’impression de s’informer… Mais non, il n’est pas vraiment informé.

Ces journaux n’exercent pas sa curiosité, et surtout pas son sens critique par rapport aux différents pouvoirs politiques ou économiques. En plus, cela l’habitue à la facilité et ne lui donne nullement l’envie de lire un autre journal.

Il y a un travail d’éducation à faire, par les parents, par l’école, par la presse – mais encore faut-il qu’elle réagisse. C’est un long travail, mais s’il ne se fait pas, je ne donne pas cher de la presse écrite. Et donc pas cher de la démocratie.

Interview swissinfo, Marc-André Miserez

Né en 1944 dans une famille patricienne fribourgeoise, Roger de Diesbach fait ses armes au «Journal de Genève» dés 1969, puis à l’Agence télégraphique suisse, dont il crée en 1972 le Service d’enquêtes et reportages.

Lorsque l’expérience se termine en 1976, il entre à la «Tribune de Lausanne – Le Matin» comme correspondant parlementaire. Il la quittera dix ans plus tard, en désaccord avec la ligne «boulevard» que prend le quotidien pour ne plus s’appeler que «Le Matin».

Il fonde alors le Bureau de reportages et de recherche d’informations (BRRI), une agence comme il n’en existe pas en Suisse, vouée exclusivement à l’investigation. Jusqu’en 1994, le BRRI livrera 1’500 enquêtes journalistiques à une vingtaine de médias suisses, avant de mettre la clé sous la porte pour raisons financières.

Roger de Diesbach devient alors pour deux deux ans réd’ en chef adjoint du «Journal de Genève et Gazette de Lausanne» avant de prendre la rédaction en chef de «La Liberté» de Fribourg, qu’il quitte en 2005.

En 1987, il a reçu le premier Prix Jean Dumur (du nom de l’ancien chef de l’information de la TV Romande), décerné par ses pairs pour le travail du BRRI.

La voix de Roger de Diesbach n’est de loin pas la seule à s’élever pour s’inquiéter des dérives de la presse suisse.

En octobre 2005, cinq journalistes romands lancent un appel pour dénoncer le règne de l’info-marchandise, les concessions aux annonceurs et certaines confusions de genre entre partie rédactionnelle et partie publicitaire de leurs médias.

Pas loin de 600 de leurs confrères signent leur pétition pour une information de qualité. Le mouvement se prolonge sur un blog, qui dénonce constamment la «malinfo» dans la presse en Suisse romande.

«Presse futile, presse inutile – Plaidoyer pour le journalisme» – Roger de Diesbach – Editions Slatkine, Genève, 2007 – 472 pages.

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