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Débat idéologique sur l’interdiction du smartphone à l’école

Des jeunes à l école avec dans les mains des téléphones portables
Les cantons suisses ont des avis divergents sur l'utilité d'interdire les smartphones dans les écoles. © Keystone / Christian Beutler

Priver les écoliers romands de leurs téléphones portables durant les cours fait (presque) l’unanimité en milieu scolaire. Le canton du Jura sévira dès le mois d’août. Mais Neuchâtel préfère la formation à l’interdiction pure.

Deux enfants sur trois âgés de 10-11 ans et quatre sur cinq âgés de 12-13 ans posséderaient un téléphone portable en Suisse. La place qu’occupe aujourd’hui cet outil de communication chez les pré-adolescents inquiète depuis quelques années déjà les milieux scolaires. Ces statistiques ressortent d’une étude MIKELien externe publiée en 2018. 

Chapeautée par l’Université de Zurich, cette analyse a pris en compte les comportements d’un bon millier d’élèves répartis dans tout le pays, ainsi que ceux d’un demi-millier de leurs parents. Elle a observé une forte hausse de la fréquence d’utilisation du téléphone portable chez les enfants vers l’âge de 10-11 ans, le «mobile» exerçant sur eux «une fascination».

Une interdiction pure et simple du téléphone portable dans l’enceinte des établissements scolaires durant l’école obligatoire est-elle pour autant la panacée? Les cantons romands de Vaud et du Jura viennent d’édicter des directives cantonales afin de bannir l’usage de ces téléphones, non seulement dans les classes mais jusque dans les cours de récréation. 

Cette mesure permettra-t-elle de «resocialiser» les élèves, de leur redonner goût à la discussion? C’est le souhait exprimé mi-janvier par le ministre jurassien de la Formation, Martial Courtet. Dès la rentrée d’août, le canton du JuraLien externe sévira.

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Dix jours de confiscation

Objectif: harmoniser l’interdiction du portable dans un périmètre précis, prérogative laissée jusqu’ici à la conscience des directions de collège. L’élève jurassien pincé en flagrant délit d’utiliser son portable écopera d’une confiscation de son téléphone durant cinq jours scolaires consécutifs. S’il récidive, le tarif sera de dix jours avec une restitution de son «smartphone» en présence des parents. La mesure concerne aussi les camps de ski et les courses d’école, sauf si l’enseignant décide d’autoriser les portables en fin de journée.

«N’oublions pas que le portable est un outil permettant aux élèves d’avoir un contact avec leurs parents.»
Un parent d’élève

Mais des parents jurassiens s’inquiètent d’ores et déjà de ce virage répressif. «N’oublions pas que le portable est un outil permettant aux élèves d’avoir un contact avec leurs parents», rappelait récemment un papa soucieux dans le courrier des lecteurs du Quotidien jurassien. 

Un moyen de communication utile lorsque «des enfants sont scolarisés à plusieurs kilomètres de leur foyer», ajoutait ce père de famille de Montmelon, commune du district de Porrentruy. «La confiscation du portable par l’école hors des cours est une ingérence des institutions scolaires dans la vie privée des familles», s’est-il même emporté.

Effets sur le long terme

Il est en effet difficile d’éloigner complètement les écoliers romands du monde numérique dans lequel ils nagent au quotidien. Dans le canton de VaudLien externe, l’interdiction d’utiliser le portable jusque dans les préaux d’école est officielle depuis la rentrée scolaire du mois d’août dernier. 

En amont, dix collèges du canton s’étaient prêtés à un essai pilote sur un an. «Les retours ont été excellents», nous confirme Julien Scheckter, porte-parole de l’État de Vaud. Le principe de l’élargissement de l’interdiction à la cour de récréation a été jugé concluant pour la quasi-totalité des acteurs.

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«Une mesure qui déploiera ses effets sur plusieurs années, jusqu’à ce que les élèves aient tous été formés à un usage raisonnable des objets connectés dans le domaine scolaire. Il convient par là aussi d’éviter des comportements à risque qu’engendre une utilisation poussée des téléphones portables (addiction, cyberharcèlement)», martèlent depuis deux ans les autorités vaudoises.

«Il convient par là aussi d’éviter des comportements à risque qu’engendre une utilisation poussée des téléphones portables.»
État de Vaud

Monde idéal sans portable

Les dispositifs numériques personnels doivent être éteints et rangés dans les affaires de l’élève vaudois dès son arrivée en classe, de manière à ne pas être visibles. Des exceptions sont cependant prévues lors d’activités pédagogiques «encadrées» par l’enseignant, liées par exemple à l’apprentissage du numérique.

Mais la directive, signée par la cheffe du département cantonal de la Formation Cesla Amarelle, insiste surtout sur le caractère éducatif de l’école pour «favoriser la concentration et la capacité d’apprentissage des élèves» et «les échanges sociaux ludiques entre pairs». Autrement dit, viser un monde idéal sans téléphone portable. À ces recommandations s’ajoutent un cadre pour l’usage des écrans ainsi que des conseils préventifs pour les parents d’élèves.

Un jeune avec une tablette
© Keystone / Gaetan Bally

Former avant d’interdire

De son côté, Neuchâtel préfère «privilégier l’éducation à l’interdiction», résume Jean-Claude Marguet, chef du service de l’enseignement obligatoire du canton. «Les nouveaux outils pédagogiques sont un terrain d’expérimentation à ne pas négliger», ajoute-t-il. Il garantit pourtant que son canton, à l’instar de celui de Vaud et du Jura, n’autorise pas non plus les portables dans les périmètres des collèges, mais sans pour autant qu’il faille édicter une directive. À Neuchâtel, cette compétence relève du règlement des écoles.

«L’important est que toute utilisation se fasse avec l’autorisation de l’enseignant, garant du but pédagogique», se défend Jean-Claude Marguet. Et de relever aussi qu’en matière d’outils pédagogiques, il y a aujourd’hui profusion et embarras du choix: tablettes, montres connectées, mini-caméras, etc. Sans compter que le téléphone portable ressemble de plus en plus à un couteau suisse, tant ses fonctions sont désormais nombreuses.

«S’informer sur Internet, utiliser un dictionnaire électronique, filmer une expérience scientifique, créer des films d’animation sont autant d’exemples d’une intégration réussie», se justifie-t-il encore. Sans oublier, rappelle-t-il, l’apport du téléphone portable pour les élèves à besoins éducatifs particuliers.

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